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Avignon. L’humanité en question. « Le Fossé » – de Jean-Baptiste Barbuscia, Théâtre du Balcon

Du 8 au 16 avril, le Théâtre du Balcon à Avignon a présenté une pièce de Jean-Baptiste Barbuscia « Le Fossé », mise en scène par Serge Barbuscia, interprétée par cinq comédiens : Xavier Coppet, Alice Faure, Fabrice Lebert, Maïssane Maroqui et Laurent Montel.


Le Fossé, théâtre du Balcon, Avignon
Le Fossé, théâtre du Balcon, Avignon
« Pierre : « Et puis quoi encore, je devrais me battre en plus ?
Pour qui ? Pour quoi ? L’égalité ? La fraternité ?
Ça fait une devise sympa mais ça n’existe pas.
Je me bats déjà contre ces gravats, pour notre propre liberté. »


Que font les hommes de notre humanité ?
Un brin d’absurde à la Godot, de l’imagination, un soupçon de Raymond Devos avec des jeux de mots pour alléger le fond, de l’amusement en guise de réflexion, une puissance inventive éclatante sans en altérer le ferment : Que font les hommes de notre humanité….
Le Fossé est une pièce sans queue ni tête mais qui a du sens. Le Fossé est une qui creuse les méninges longtemps après l’avoir vue ; une pièce particulière, spéciale, qui hante l’esprit, oui, qui questionne et qui fait du bien.
Le texte revêt ici une importance fondamentale, il devient le miroir de l’existence et le spectateur est incapable de porter un jugement en raison de manque de données, de points de référence utiles et de l’absence de coordonnées spatio-temporelles et logiques précises laissant le spectateur dans une position non conventionnelle dans laquelle il ne reconnaît, sur le moment, ni le rôle des acteurs, ni son propre rôle.

Une pièce fascinante
Jean-Baptiste Barbuscia aborde, par le rire, des thèmes tragiques et récurrents : le rejet de l’autre, la mort lente de la nature, le racisme, la violence, l’intolérance, la peur… Quand une chèvre parle, c’est une chose impossible à vivre rationnellement et parce que c’est étranger à tous, c’est accessible à tous. La fascination qu’exerce cette œuvre sur l’absurdité de la vie réside dans le mystère qui permet à chacun de nous de pénétrer la condition d’attente de quelque chose ou de quelqu’un, avec, toujours, une connotation d’espoir.

Une mise en scène exceptionnelle signée Serge Barbuscia
Serge Barbuscia est le directeur du Théâtre du Balcon et metteur en scène de la pièce. Ses créations sont l’occasion de véritables laboratoires qui font la part belle à la pluridisciplinarité des arts, où s’échangent des idées et des techniques artistiques.
Pour « Le Fossé », brillamment appuyée par les jeux de lumière de Sébastien Lebert, la mise en scène de Serge Barbuscia est exceptionnelle ! Ces torches pointées sur le public nous scrutent. Sont-elles lumières qui éclairent ou prétexte à l’obscurité, à l’obscurantisme ? Ce mur qui s’avance va-t’il nous écraser ou nous pousser à la raison ? Cette chèvre dont les facéties pointent du doigt les incohérences humaines nous interpelle.

Eric Craviatto est le compositeur. Deux directions musicales réussies pour cette pièce : celle, mi psychédélique, mi rock avec des sonorités électroniques, « pour souligner l’inquiétude, le désarroi, la peur ou la violence de notre monde industriel, la deuxième, une musique d’inspiration tribale pour souligner l’urgence de retrouver le chemin de la nature, c’est-à-dire le chemin de la sagesse. L’humour, très présent dans le texte, n’est pas accentué par la musique afin qu’il conserve son côté salutaire indispensable. »

Les cinq acteurs sont splendides d’un bout à l’autre de la pièce, se donnant à corps perdu dans cette effervescence salutaire.

Interview. Nous avons rencontré Laurent Montel.

Laurent Montel est un comédien magnifique, baryton de surcroît. Il interprète sublimement Pierre dans Le Fossé.

Danielle Dufour-Verna : Bonjour Laurent Montel. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Laurent Montel – J’ai 58 ans. Je fais du théâtre depuis une bonne quarantaine d’années. Je suis originaire d’Avignon, j’ai passé presque 40 ans à Paris avant de revenir il y a deux ans me réinstaller sur le territoire de mon enfance. Mon parcours a été essentiellement, voire quasiment uniquement fait dans le théâtre. J’ai été notamment pensionnaire de la Comédie Française de 1996 à 2002. J’ai eu la chance de faire beaucoup de pièces de théâtre partout en France, essentiellement dans ce qu’on appelle le théâtre subventionné et puis de faire des rencontres avec d’autres acteurs, des actrices et des metteurs en scène dont l’un, important dans mon parcours, Daniel Mesguich.
DDV –Vous connaissiez Serge Barbuscia ?
Laurent Montel –Oui, je le connaissais parce qu’en 2013 j’ai participé au Festival OFF avec une pièce qui s’appelait La Dame d’Ithaque que nous avions jouée au Théâtre du Balcon. Depuis, Serge et moi étions restés en contact.
DDV – C’est lui qui vous a proposé le rôle ?
Laurent Montel – Oui, absolument. Dans les deux ans qui ont précédé, il m’a fait participer au Souffle d’Avignon, une semaine de lecture de textes contemporains au Palais des Papes. On a pu voir à ces occasions-là que nous étions bien branchés de la même façon. Il m’a donc proposé ce rôle de Pierre dans Le Fossé’.
DDV – Le Fossé, qu’est-ce-qui vous a attiré dans cette pièce ?
Laurent Montel – D’abord c’est une pièce très riche, très foisonnante. Elle parle de choses fondamentales et il était extrêmement difficile de refuser le rôle de Pierre qui est un personnage extrêmement complet qui n’a pas que de bons côtés et qui a, je crois, une grande humanité, qui a des défauts presque violents qu’il compense peut-être, un petit peu, par une profonde humanité. Il y a une matière de jeu qui est considérable et, surtout, très diverse. Ça me permet de voyager dans des styles d’interprétation très variés dans la même pièce et avec le même personnage.
DDV – L’auteur parle d’incursion dans le théâtre de l’absurde mais cette pièce touche à beaucoup de problèmes de notre époque et les dénonce. Qu’en pensez-vous ?
Laurent Montel – Je suis assez d’accord avec vous. Elle commence comme un salut confraternel et comme un hommage à Becket ou à Godot mais la pièce se transforme assez vite et elle aborde effectivement, par des biais qui sont tantôt tragiques, tantôt comiques, les grands problèmes de notre époque, l’écologie, rapport au pouvoir, au colonialisme, au racisme. C’est extrêmement théâtral.
DDV – J’avais eu la chance de lire le scénario du Fossé. Dans cette pièce, l’interprétation est une formidable clé dans la compréhension du scénario.
Laurent Montel – Je crois qu’une œuvre théâtrale n’est pleinement réalisée qu’au théâtre. D’ailleurs les pièces de théâtre font partie des choses les plus difficiles à lire. La pièce de théâtre n’est accomplie qu’une fois que les acteurs s’en emparent.
DDV – La mise en scène de Serge Barbuscia sublime totalement la pièce. Y avez-vous participé en équipe ?
Laurent Montel – Oui, absolument. La grande qualité de Serge comme metteur en scène, c’est d’écouter les propositions que nous faisons et d’en faire le tri. C’est sa grande force. Il est toujours prêt à recevoir les propositions que nous faisons et même il s’appuie dessus. Il travaille avec nous, il travaille sur nous. Cela c’est très agréable pour un acteur qui aime proposer, ce qui est mon cas. Je connais des acteurs qui ont du mal à sauter dans le vide, mais moi, ça me convient parfaitement. On a travaillé ensemble avec beaucoup d’intelligence. Avec Serge, avec mes camarades, tout le monde a mis la main à la pâte. Je pense notamment à Fabrice Lebert qui joue le rôle de la chèvre. Si vous n’avez pas un acteur qui propose, qui est inventif et qui est créatif, vous allez dans le mur.
DDV – Vous me faites penser au mur qui avance et écrase l’humanité, c’est d’une force incroyable !
Laurent Montel – Tout-à-fait ! Il se déclenche à chaque certitude énoncée. Chaque fois que Pierre dit « Je suis sûr de ça », le mur avance et réduit leur espace vital.
DDV – La pièce sera jouée au Festival cet été ?
Laurent Montel – Oui, elle sera au Festival d’Avignon, au théâtre du Balcon, à 18h tous les jours sauf le jeudi.
DDV – Ma dernière question, quelle est votre propre conception du bonheur ?
Laurent Montel – Le bonheur de mes enfants.

Le Fossé se creuse au Festival OFF en juillet
Vous l’aurez compris, Le Fossé n’est pas à rater cet été au Festival OFF d’Avignon où il sera donné au Théâtre du Balcon du vendredi 7 au samedi 29 juillet 2023, tous les jours à 18h sauf le jeudi. Et si l’envie vous en prend, n’hésitez pas à creuser avec eux… ou à reboucher, selon votre humeur, ils vous en sauront gré !
Danielle Dufour-Verna

Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Lundi 17 Avril 2023 à 01:09 | Lu 854 fois

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